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Atelier d'Ecriture "PLUMALIRE" à Nice, Alpes Maritimes
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  • Faire pétiller ses idées. Ecrire en s'amusant avec des jeux-consignes. Stimuler sa spontanéité, son imaginaire. Ecrire en riant récits, contes, haïkus, etc... dans une atmosphère conviviale. Lire autrement.
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16 juin 2011

Doute

16 juin 2011

 

Le mois dernier je suis « descendu » à Paris, Lille-Roissy TGV -très pratique-, pour une exposition Renoir au Grand Palais et la visite d’un ami de longue date, ainsi justement nommé puisque nous fréquentions la même école primaire et qu’à présent cette époque correspond réellement à une réalité très ancienne.

J’étais guilleret de fouler à nouveau le sol de la capitale, ragaillardi à la vue des immuables temples parisiens dépositaires d’histoire et de culture : ainsi encore ils étaient là, insensibles aux tressautements modernes de leur environnement. Notre Dame affichait sa toute fraiche pâleur retrouvée, un brin trop clinquante pour être honnête d’authenticité, à la limite de ressembler aux cathédrales américaines du 19ème… à condition d’ignorer la finesse des statues aux portails.

Résolument dans une période optimiste de ma vie, je pris ces deux jours avec plénitude et simplicité, gommant sans effort et avec indulgence la crasse du métro et des rues, l’agressivité des automobilistes, la surdité sélective des garçons de café, l’augmentation du nombre de jeunes SDF, les tas compacts de touristes coréennes. Je parcourais quais et ponts avec le flegme d’un vieil amant qui revient en terrain conquis, ému d’aimer encore une belle inchangée, dans mon cœur tout au moins.

Antoine m’avait donné rendez-vous à Montmartre, très inhabituel pour lui qui avait son quartier général aux Buttes-Chaumont pour rencontrer les amis. Il ne m’invitait jamais chez lui et je faisais de même lorsqu’il « montait » chez moi. C’était depuis toujours notre façon de nous retrouver : sur un terrain neutre, libre de l’univers intime de la maisonnée de chacun. Un lieu où corps et âmes sont les seuls témoins de notre cheminement passé, loin de la médiation muette d’objets et autres décors plus ou moins animés (Antoine a 3 chiens).

Sur la place du Tertre j’éprouvais quelque difficulté à retrouver mon ami parmi les tables bondées. Je le reconnus enfin, absorbé dans une lecture. J’affectionne cet instant subtil où, après avoir scanné notre champ visuel et digéré les informations recueillies à une allure prodigieuse, l’air de rien, notre cerveau nous procure la jouissance de l’identification de la chose connue ; je souris ainsi dans le vide, avant même de le serrer dans mes bras.

-          ah, mon vieux, ça me fait plaisir de te revoir !

Sans relever le détail je songeais que l’appellation se rapprochait de plus en plus de notre vérité biologique. A cinquante-deux ans Antoine avait déjà le cheveu bien gris, les lunettes au bout de la chaîne et un dos un peu voûté qui me peina. C’est bien toujours chez les autres que l’on se sent vieillir.

-          trois ans… déjà !?

Il secoua la tête avec un sourire triste

-          oui, ça fait trop longtemps ; il faut qu’on se voie plus souvent

Il me tapotait l’épaule comme la tête de son chien, avec répétition et douceur.

Nous discutâmes d’abord de Paris, qu’il aime inconditionnellement ; il m’apprit les nouveautés, s’enquit de mes impressions. Nous dressions sans nous en rendre compte le préambule d’un décor familier et rassurant pour nous deux. Mais je le sentais soucieux et lui en demandai la raison.

-          soucieux ? Oh, pas vraiment… fatigué, je pourrais dire. Mon éditeur m’embête avec mon bouquin.

Le geste évasif de sa main ne me suffisait pas et il finit par me raconter son entrevue une semaine auparavant avec cet éditeur qui l’avait soutenu depuis toujours.

 

« - voyons Antoine, ne fais pas semblant… tu sais bien ce que je veux dire

Assis depuis une demi-heure sur une chaise où il s’avachissait à vue d’œil, Antoine ne « voyait » pas ce que son éditeur sous-entendait.

-          je ne te demande pas un happy-end à l’américaine, évidemment !

L’éditeur retournait pour la quinzième fois sa boule de verre et la neige qui y virevoltait hypnotisait leurs regards à tous deux, paraissant être le sujet maître de leur discussion. C’était plus commode ainsi, de fixer un objet à la place d’arguments impalpables.

-          … mais là, ta fin… c’est pire que tout !

-          hum… « Le fil à la patte », ça se terminait pas idéalement…

-          je me doutais bien que tu le citerais, celui-là ! Mais cela n’a aucun rapport ! C’était du noir avec des tripes ! Ton héros, il était fichu mais ça ne pouvait pas finir autrement, avec ce qu’il fabriquait ! On était certain qu’il en arriverait là !

Antoine n’aurait pas qualifié la remarque de compliment –que le lecteur devine la fin ne lui semblait pas idéal- mais le livre s’était bien vendu et en définitive on ne savait jamais pourquoi le succès était au rendez-vous.

L’éditeur, lui, paraissait savoir, et Antoine, sarcastique, s’était dit que c’était son métier après tout : qu’il l’éclaire de son savoir…

L’homme se penchait vers lui d’un air entendu

-          enfin Antoine, tu ne me suis vraiment pas ? Le lecteur, il veut Tout dans un livre, tu entends, Tou-ou-out ! » Ses yeux s’écarquillaient et sa bouche se déformait en une moue ridicule en accentuant le « ou ». « Il ne le sait pas, évidemment ; et il s’en défendrait même, si on le lui disait !

La neige tomba à nouveau dans la sphère.

-          et c’est quoi, tout ? » Il regardait les paillettes blanches à nouveau « Très simple : tout et son contraire : il veut se retrouver en terrain connu -ça l’amuse que tu sois assez malin pour arriver jusqu’à lui-  et se faire surprendre –faut bien le distraire un peu de lui-même- ; ton lecteur, il veut sourire mais aussi râler ; s’émouvoir mais juste ce qu’il faut -si tu vas trop loin il veut pouvoir se barricader derrière ses certitudes et te rejeter dans les extrêmistes- ; il veut aimer… et détester !

L’éditeur était satisfait de sa démonstration : la tirade dénotait sa maîtrise du métier

-          … alors il peut aimer ou détester la fin que j’ai prévue

-          Non !!! La fin il doit l’aimer, absolument ! Il ne peut pas rester sur un malentendu

-          Je ne vois pas de malentendu dans ma fin

-          Mais si ! Ton héroïne, on ne sait pas ce qu’elle a dans le ventre…

Antoine haussa les épaules

-… c’est le sujet du livre

La neige tomba de nouveau, glaçant un court instant le fil de la conversation. Antoine reprit :

-          j’ai lu des dizaines de livres qui ne me plaisaient pas… et j’étais content de les avoir lus ; ça ne m’empêchait pas d’y retourner.

L’éditeur ricana :

-          oui, certainement… et bien moi je ne prendrai pas ce risque pour toi ! Tout le monde ne donne pas une seconde chance, crois-moi ! »

 

 

Antoine but une gorgée.

-          Et la conversation a continué comme ça un bon moment avec lui ; j’avais l’impression de me dédoubler : mes arguments étaient inutiles et pourtant je tentais d’avancer mes pions ; lui feignait d’écouter et contrattaquait ; c’était grotesque : nous bossons ensemble depuis des années et je me retrouvais à me justifier comme un potache…

Je hasardai une remarque :

-          tu crois qu’il veut te lâcher ?

-          oh non, je ne pense pas ; j’ai rapporté pas mal à la maison. Non, je crois seulement qu’il lui prend l’envie de commander ses auteurs, un peu comme un vieux général qui se sent salement vieillir et tente de se prouver qu’il a encore un peu de pouvoir en s’immisçant partout, jusque dans les histoires de troufion.

Il tournait son verre et la mousse ainsi chahutée sur les bords se noyait piteusement dans le fond de bière.

-          mais je dois dire que ça m’a tout de même secoué… On doute toujours ; mais quand en plus ça vient des autres !

J’essayai d’être le plus convaincant possible, car mon ami a du talent :

-          tu le dis toi-même : on doute toujours ; donc inutile de s’attarder davantage cette fois sur ce passage inévitable !

Antoine sourit

-          mais c’est pas raisonné, mon vieux, crois-moi ; la théorie, je la connais… Non, je me dis que ça doit être la vieillerie qui commence à me ronger les os, genre « plus j’avance, moins je sais »

Je me mis à rire

-          bon, et bien alors tout va bien : tu es comme tout le monde !

Il me rendit un sourire chaud et soupira, reporta son regard sur la place. Je n’e lavais pas convaincu mais le contraire m’eut surpris. Je songeai aux piges que je rédigeais pour les éditions locales de notre quotidien régional : des miettes de vies en voie de disparition, témoignages d’anciens métiers perdus et de modes de vie balayés par les mutations de la société. A quoi bon les éclairer d’un article de presse ? Le doute, je le connaissais aussi. Je ne poursuivais que pour les étincelles qui brillaient au creux de certains regards fripés et qui me racontaient bien davantage que des histoires.

Peut-être était-ce cela qui manquait à Antoine pour se réconforter : l’absence de connexion instantanée entre le lecteur qui découvre son texte et lui. Suffirait-il qu’il lise à haute voix son récit et puisse ainsi guetter les réactions de son auditeur ? Partager son ressenti ?

Illusion encore, puisque l’auditeur garde souvent, avec raison, son droit précieux de « digestion privée » avant commentaire. Quelques grandes gueules ou hypocrites savent étaler à chaud leurs réactions intimes à la projection d’un film,  à l’exposition d’œuvres d’art, mais sont-elles les plus sincères ?

L’écrit est médiation, distance. Qui donne liberté au lecteur d’ingérer, respirer, restituer.

 

-          tu te souviens quand tu lisais des histoires à tes gosses, petits ?

Antoine sourit ; tous deux nous avions passé des soirées assis de guingois sur un lit ou allongé, les bras ankylosés de tenir le livre au-dessus de la tête.

-          oh là là, si je me souviens… Caro voulait toujours de la nouveauté, Marc toujours les mêmes histoires !

-          tu revois leurs yeux ? Tu entends leur souffle ? Ce calme et cette place qu’il laissait à ta voix ? Cette attente ?

Il soupira, rêveur, attendri ; « mes premiers lecteurs, aussi » Il se pencha vers moi « je ne leur disais pas, quand c’étaient mes écrits… j’avais déjà la trouille !!! »

Nous rîmes doucement. Un bref instant il fut ce gosse, heureux captif aux yeux brillants, qui attendait qu’on lui dévoile les mystères du monde.

Je crois que ma visite lui fit du bien ce jour-là.

 

 

Je repris le TGV, direction nord, vers ma routine et ma vie. Antoine m’a dit qu’il ne changerait pas la fin de son livre et envisageait quelques modifications mineures, en guise  « d’os à ronger » pour son éditeur. Et puis il verrait bien.

 

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