Mais les yeux des hommes sont aveugles.....

Les hommes, dit le Petit Prince, sont parfois des êtres surprenants."

"Oui, répondit le goéland, et particulièrement les insulaires dont la distraction principale est celle des luttes entre jouteurs. Avant de se réunir, ils puisent l'eau au puits. Le puits est profond, mais son eau est pûre grâce à des vibrations souterraines. Elle leur donne la force nécessaire."

"C'est étrange, dit le Petit Prince.  Il rit. "Quand tout est prêt, les jouteurs montent sur leur frêle esquif même par une mer houleuse et accomplissent des virements de bord dangereux pour esquiver leur adversaire. Tu entends alors des cris, ajoute-t-il en s'adressant au goéland hurleur."

Lentement, ils suivent des yeux, en imagination, les insulaires jouteurs qui contournent l'isthme bien découpé.

"Je ne voulais pas que tu te demandes à quoi leur sert le varech multicolore qu'ils ont ramassé sur les galets et qu'ils brandissent!" fit remarquer le goéland hurleur au Petit Prince.

Le Petit Prince rit "Oui, j'ai compris que le varech, c'est pour leur servir d'étendard tournoyant!"

Puis il ajouta : "C'est pour eux une sorte de girouette!  Dans mes oreilles, j'entend le vent hurler et j'ai soif de savoir qui va gagner!"

Alors le goéland souleva doucement le Petit Prince pour qu'il puisse mieux observer les joutes. Il murmura : "C'est doux de te tenir contre moi."

Ils observaient ensemble la girouette qui indiquait d'où venait le vent.

Le Petit Prince demanda alors au goéland: "Comment est venu le rite des joutes, cette nouvelle habitude ?"

"Elle est née il ya de cela fort longtemps, répondit le goéland au Petit Prince."

"Les hommes de chez toi sont inexistants fit remarquer le Petit Prince."

"Peut-être, et cependant, les joutes forment les caractères.Tu sais, moi,  un jour, je suis parti un jour sur un frêle esquif sans vigie, malgré les intempéries....  et les vents iodés  me poussaient vers les étraves dangereuses.  Les rites existent, les dangers aussi mais les yeux des hommes sont aveugles et les ignorent."