Eldorado de Laurent Gaudé.

Eldorado de Laurent Gaudé.

Depuis près de 20 ans je promène ma silhouette sur la mer et je suis le mauvais œil qui traque les désespérés. C'est de cela que je suis épuisé. La mère avait dit "va mon fils, tu es le plus fort, le plus... entrecoupé de larmes L'Eldorado, il avait vu ça dans les livres mais il ne comprenait pas, il ne comprenait pas bien. Une ville, un port ,la liberté ! ? Je vais continuer dit le commandant. De Catane à Lampedusa. Aller-retour. Sans cesse. Des barques vides. Des barques pleines. La migration des nations. Je vais continuer. Une vie entière de patrouilles. Angelo aurait voulu rire mais il vit que Salvatore gardait le visage fermé. Cette phrase dans sa tête, ce point dans sa poitrine. Il avait entendu. Barques vides. Barques pleines. Quitter son pays, sa terre natale, le ventre de sa mère pour sauver sa peau. Mais, les Blancs, les gentils Européens, ils auraient sa peau. Belle peau ébène, corps musclé. Ils le mettraient au fond du trou, marteau-piqueur, sueur. Ou à nettoyer les chiottes. Un balai à la main, pourquoi pas ? Grands chefs blancs, sourires, devant son regard chaviré .
Tu sais ce qu'il nous disait à l'école de commandement ? Le vieil homme fit non de la tête. Le jeune homme fait non de la tête. Le bateau va couler, les larmes restent en dedans. C'est ça l'Eldorado ?
Ils nous disaient que nous étions là pour garder les portes de la Citadelle. Je ne parle pas de politique ou d'idéologie.
Pourquoi, moi? Le frère aîné pouvait partir. pourquoi moi ? Il se met à trembler, la peur au ventre. Se jeter à la mer. Foutaises.
Lorsque je pense à ces hommes qui ont le regard fixé sur l'horizon avec impatience et appétit, je les envie. Je me dis que je ne suis que la malchance, le visage de la malchance. Ceux que j'intercepte sont ceux qui n'ont même pas la chance de leur côté.
Son père lui avait dit va tu as de la chance en mettant à son cou le pendentif  porte-bonheur le grigri, le talisman. Portant les mains à son cou plus de grigri. Serrés, collés, les passagers ne peuvent pas bouger. Il ne peut même pas regarder par terre pour chercher le précieux trésor. Il crie, il gémit. Il a peur. L'Eldorado ? La prison. La misère. Le bateau approche du quai. L'inconnu. Tous ces visages sont hostiles. Il ne peut pas crier. Il n'a plus de voix. Son âme a été vendue au diable.