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Atelier d'Ecriture "PLUMALIRE" à Nice, Alpes Maritimes
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  • Faire pétiller ses idées. Ecrire en s'amusant avec des jeux-consignes. Stimuler sa spontanéité, son imaginaire. Ecrire en riant récits, contes, haïkus, etc... dans une atmosphère conviviale. Lire autrement.
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3 mai 2011

Les maisons jumelles

30 avril 2011 

Sa voiture passait chaque jour devant les maisonnettes jumelles. Son œil distrait aurait pu les ignorer comme le reste des habitations et des jardins de la rue familière. Pourtant le regard se tournait involontairement sur la droite, à hauteur de ces deux bâtisses qu’elle avait vues, non sortir de terre (un vague carré creusé sur un mètre de profondeur ne peut servir de racines), mais se dresser avec la rapidité d’une construction de légos.  Dimensionnée au terrain, l’étroitesse des murs, des portes et des fenêtres évoquait le lointain souvenir d’une maison de poupées dont elle n’aurait pas été étonnée de voir la façade s’ouvrir telle une large porte sur les secrets de l’intérieur, le bonheur miniature en germe.

Un beau jour les parpaings gris à peine secs se teintèrent de rose et des huisseries furent installées pour cacher la vie qui allait éclore là, à l’abri.

La maison affichait fièrement le rôle qu’on lui avait dévolu : l’incarnation de l’ordonnancement des choses. Au-dedans le chaud, le rassurant, le rangé et le maitrisé. Au dehors la terre était encore rebelle, qui gardait le chaos de la genèse : gravats, ornières, grillage défoncé. Témoins sales et désordonnés, indispensables à l’émergence du beau, certains encore présents et invisibles en son sein, qui  se trouvaient à présent rejetés dans le noir et le froid de la nature, persona non grata dorénavant, attendant piteusement qu’on daigne prendre le temps de régler leur sort.

Des lumières parurent le soir, derrière les volets impeccables ; des voitures stationnèrent devant les maisons, pour dormir et repartir de roue ferme au petit matin ; une routine s’installait.

Les véhicules se garèrent longtemps dans les ornières de glaise et la passante notait avec quelque contentement mesquin que tout ne pouvait se régler si rapidement, que chez les autres aussi il fallait du temps, de l’argent, de la patience, des discussions, des compromis, pour arriver enfin à l’accomplissement final de la tâche. Chez les autres aussi les projets rêvés se prenaient les pieds dans le tapis du quotidien et de la complication. Combien d’obstacles avaient-ils rencontrés avant et pendant la si rapide construction de la maison ? Et maintenant ?

 

L’hiver se termina et les voitures se mirent au sec sur un lit de gravier blanc. Le terrain s’aplanit, débarrassé de ses occupants de fer, béton et plastique. Le printemps fleurit et de la terre noire recouvrit la glaise. Deux palmiers nains furent plantés.

Et puis, un autre jour, les épis drus et vert vif d’un gazon fraichement semé la surprirent.

Ainsi déjà ils l’auraient aussi, leur doux tapis, pour la plante tendre des pieds nus de leurs jeunes enfants.

Car elle en était certaine, cette maison abritait de jeunes enfants : qui construirait une maison de poupées sinon un homme et une femme soucieux d’offrir l’écrin idéal à ceux qu’ils chérissent le plus ?

Ces brins dressés vers le soleil, c’étaient eux, ces enfants, ces parents emplis de projets, d’espoirs, de bonheurs quotidiens.

C’étaient eux, émergeant du chaos de la terre, aussi fragiles et forts que la fine couche de terreau recouvrant la si profonde couche de glaise, la strate épaisse des déceptions, des peurs, des hésitations.

La passante se disait qu’elle connaissait les deux, la couche épaisse et la fragile écorce verte du dessus, tandis que ces jeunes habitants étaient sans doute encore insouciants des herbes contrariantes qui poussent en secret et réclament leur part de vie –car elles en sont également, de ce monde-.

La saveur de l’évidence et de la chose simple appartenait au passé : en avait-elle pour autant une longueur d’avance, à savoir que cet arôme pouvait disparaitre ?

Elle imaginait un apéritif entre voisins, eux discutant des améliorations et des finitions de leur domaine, les yeux brillants ; elle, souriant et acquiesçant avec gentillesse, sans passion, déjà loin de ce monde et de ce temps-là. Elle regarderait les enfants buvant sérieusement leur jus de pomme, songerait à ce qui se bâtissait déjà dans leur petite tête : des repères d’imaginaire et de protection adossés à la maison miniature au jardin frais. Elle serait peut-être le socle de leurs souvenirs d’adulte, cette maison. C’était une histoire importante, celle d’un enfant et de son nid.

Alors elle sourirait, voulant croire qu’ils se moqueraient mieux qu’elle des mauvaises herbes.

Elle passerait encore, souvent, devant les maisons jumelles. Les enfants grandiraient ; peut-être la reconnaitraient-ils quand sa voiture les dépasserait. Elle aimerait les voir lui faire un signe. Elle leur répondrait. Et sourirait encore.

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