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Atelier d'Ecriture "PLUMALIRE" à Nice, Alpes Maritimes
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  • Faire pétiller ses idées. Ecrire en s'amusant avec des jeux-consignes. Stimuler sa spontanéité, son imaginaire. Ecrire en riant récits, contes, haïkus, etc... dans une atmosphère conviviale. Lire autrement.
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13 octobre 2011

Boutique - Fourre-tout 22

28 juin 2011

 

Pour acheter le pain la gamine n’a qu’une rue à franchir mais c’est la rue principale qui traverse la ville aussi parfois faut-il se méfier des poids lourds, longs véhicules bruyants et inquiétants. La boulangerie est tout juste en face de sa maison et elle en aperçoit la façade étroite de n’importe quelle fenêtre, à toute heure du jour ou de la nuit. La boulangerie est un trompe-l’œil ou une carte postale punaisée au mur, immuable ; quand la gamine s’y rend, c’est comme si elle prenait une caméra et affinait sa prise de vue, du plan large au plan serré, pour s’incruster dans un détail du décor.

Elle est vieillotte cette boutique, avec une grande vitrine et une porte simple à sa droite, en bois dans la partie basse, dont la peinture s’écaille patiemment. La porte, il faut la refermer soi-même, car rien ne la rabat automatiquement ; la poignée est petite, telle d’une porte de chambre, adaptée à sa main d’enfant. Rien à faire pour éviter la clochette qui prévient la boulangère de l’arrivée du client.

Alors d’abord il y a cette poignée aux rondeurs douces, ce bruit de grelot tout de suite après et puis le pied qui butte sur une marche usée, donc les yeux plongent au sol pour éviter le faux pas et c’est là que la gamine retrouve le carrelage sombre aux motifs géométriques.

Elle ne sait pas ce qui est le plus intimidant : quand il y a déjà des clients ou quand elle est seule et que son arrivée a tiré la boulangère de son arrière-boutique. S’il y a du monde on est serré, le magasin est petit mais au moins peut-on écouter les conversations (l’idéal étant que personne ne la reconnaisse et ne l’aborde), prendre le temps de regarder les éclairs brillants alignés dans la vitrine ou les bonbons.

Et puis la boulangère aussi. La gamine ne connait pas encore Pagnol et ignore que les femmes de boulanger peuvent être jeunes, jolies et rêver de marins : sa boulangère à elle est petite et lourde, à la poitrine forte sanglée dans une blouse à fleurs ou à carreaux, les cheveux gris frisottés à la mode des années 1930 et un œil qui s’obstine à regarder de travers. Mais elle sourit. La gamine la perçoit bienveillante, bien que cette dernière ne lui prodigue aucune attention particulière. Elle est dynamique aussi, malgré son embonpoint, à traîner du couloir de derrière le lourd chariot empli de baguettes chaudes et de jokos*, à tirer vers le bas le manche énorme de la machine à trancher le pain. La gamine aime regarder fonctionner la carcasse métallique aux dents tranchantes, quand elle s’ébranle avec fracas : les tranches terrorisées surgissent en tremblotant et les miettes tressautent à la recherche d’une cachette.

Tout sent le vieux dans la boutique : le comptoir en bois défraichi, les étagères à pain (mais pas le pain qui est toujours frais), les rideaux qui dissimulent l’arrière-boutique. La gamine a beau guetter, jamais la boulangère n’a la négligence de laisser la porte entrouverte ; la gamine se demande si on peut réellement vivre dans une aussi petite maison, elle qui habite dans une grande. Cette porte fermée à rideaux, c’est un peu le mystère de la boulangère, la frontière d’une vie inconnue. La gamine n’y songe pas vraiment, à un secret, mais tout de même, elle n’a jamais vu le boulanger…

Il y a donc ce parfum d’énigme, quand elle pénètre dans la boutique. Mais surtout autre chose, de bien plus captivant : un rendez-vous assuré avec le plaisir. Infatigables, insatiables, les yeux parcourent les éclairs et les religieuses inaccessibles derrière le verre, les guimauves fluo, nounours en chocolat, meringues coco, bonbons bracelets, capsules pétillantes… coincés dans leurs bocaux en plastique terne. Elles sont partout, ces malles transparentes à trésor : devanture, comptoir principal, rangements sur le côté, sirènes redoutables pour enfant gourmand. De quoi rêver de longues minutes… si le charme n’était rapidement interrompu par la nécessité d’aligner les piécettes sur le comptoir. Heureusement, toujours à peu près le même achat, alors la gamine a la monnaie. Ou elle fait confiance à la boulangère, fait semblant de vérifier. Elle saisit le pain prometteur de plaisir, cette vie tiède et croustillante au parfum léger et, poliment, dit au revoir, fait sonner la clochette et prend soin de bien refermer la porte. Les gâteaux, ce sera peut-être pour dimanche. Et les bonbons, après les séances de piscine, au mois de juin.

Comment diable s’appelait la boulangère ?

* pain d’environ400 grammes, en Picardie, dans les années 1970…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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