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Atelier d'Ecriture "PLUMALIRE" à Nice, Alpes Maritimes
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  • Faire pétiller ses idées. Ecrire en s'amusant avec des jeux-consignes. Stimuler sa spontanéité, son imaginaire. Ecrire en riant récits, contes, haïkus, etc... dans une atmosphère conviviale. Lire autrement.
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13 octobre 2011

Bons soins - Fourre-tout 25

29 août 2011

 Un jour radieux se lève et le soleil inonde déjà le balcon d’Annie. Quand donc viendra l’automne, s’impatiente-t-elle en inclinant les persiennes. Les contraintes de l’été la fatiguent. La chaleur l’incommode quand elle vaque à ses occupations et dieu sait si on ne peut l’accuser de fainéantise.

La petite dernière l’inquiète, sur le piano. Point de signe réellement alarmant mais le souci provient justement de cette absence de signe : rien à l’horizon. Annie la contemple à nouveau, se remémore les soins conseillés : elle a suivi les consignes à la lettre, rien à se reprocher, voilà tout. Une idée sournoise pointe cependant son nez : un mauvais sort parfois se joue dès le départ, une tare cachée qui cruellement attend de se révéler ?

Annie se retient de tout geste superflu qui pourrait s’avérer nocif : point trop n’en faut, patience est mère de vertu, tout arrive à point qui sait attendre,… Annie déroule négligemment son chapelet de recommandations sans tromper l’inquiétude.

Le prix n’est rien mais tout de même, cette « Artifix Bellissima » lui a coûté une somme rondelette la semaine dernière.  Et puis elle l’a tant désirée, depuis ce jour où elle l’a découverte dans le catalogue, page 25, rubrique « nouveautés remarquables ». Ses feuilles bombées d’un vert luisant, groupées par cinq pour former les pétales d’une fleur sans pistil ni étamines, elles-mêmes disposées en quinconce à chaque niveau… une perfection, un bijou. Annie frissonne de plaisir en la regardant ; qu’elle est bête à s’inquiéter d’un rien !

Elle s’arrache à sa contemplation et entreprend sa tournée du matin. Rassembler en premier lieu le matériel nécessaire est un rituel léger qui lui offre tout loisir de se concentrer simultanément sur le choix autrement plus délicat du compositeur. Mais elle sait déjà depuis hier que « La symphonie du Nouveau Monde » sera l’élue de ce mardi. Elle déplace avec douceur la branche de Stéphanotis pour soulever le couvercle de la platine et placer le trente-trois tours.

Annie laisse toujours quelques mesures l’imprégner avant de commencer ses soins.

 

****

 

Il est midi quand madame Charleux, la concierge, donne le signal convenu de deux coups brefs sur la sonnette. Se rinçant les mains au même instant Annie sourit de leur ponctualité réciproque.  Sur le seuil l’attend le plateau en bois de sa grand-mère, garni d’une pomme, d’un carré-frais, de tartines de baguette et d’un plat mystérieux sous sa cloche brune. Annie s’en saisit, le dépose sur la table de la cuisine et referme délicatement la porte d’entrée en replaçant les feuilles d’Hédéra  qu’elle a décalées.

Assise face à la fenêtre, Annie savoure son bœuf bourguignon du jour avec l’identique recueillement qu’elle prodigue chaque midi aux mets délicieux de madame Charleux, le regard serein sur les toits au loin et leurs tuiles ocres dont elle connait chaque imperfection. Au cinquième et dernier étage l’horizon est dégagé, d’autant plus qu’il a été impossible, dans cette pièce si exigüe, de disposer une étagère pour les plantes devant la fenêtre.

Annie s’essuie la bouche après la pomme et s’impatiente. Elle s’étonne un bref instant de toujours se réjouir du repas face à la fenêtre et très vite éprouver le besoin de quitter ce ciel éblouissant qui éclabousse le tapis de tuiles d’une blancheur indécente.

Le plateau consciencieusement reposé sur le paillasson, Annie rejoint sa pénombre douce, effleurant à tâtons le chemin connu jusqu’au canapé empire. La couverture polaire atténue la dureté de ce vieux meuble de famille qu’elle apprécie pour la rondeur de ses accoudoirs. A grands renforts de petits coussins Annie s’installe pour sa séance « contemplation », une sieste qui ne s’avoue pas car entre deux regards attendris sur Calathéa qui frémit de toutes ses feuilles lorsque l’une d’elles se relève et Céropégia qui patiemment chevauche Monstera qui ne réagit pas, Annie somnole à peine.

Le sourire aux lèvres elle rêve pourtant dans ces brefs moments d’un songe ravissant et familier : dans une forêt tropicale aux arbres immenses elle danse à la lisière de la canopée tel un singe heureux de parcourir son domaine ; d’une habile et surprenante légèreté elle quitte une liane pour une autre, la joue caressée par les feuilles douces et fraîches des branches qu’elle effleure, protégée du soleil aveuglant qui tente de se frayer un passage au dessus d’elle.

Elle se réveille souvent quand Calathéa frissonne de ce si reconnaissable et imperceptible mouvement.

Annie se tourne vers Artifix Bellissima, irrésistiblement attirée par sa beauté mystérieuse. Il en est toujours ainsi quand une petite nouvelle s’installe dans l’appartement : une fascination impérieuse qui exige de brefs mais réguliers regards pour s’assurer que tout va bien et, surtout, s’adonner au grand bonheur de l’émerveillement. « Bellissima » atteint déjà90 centimètres mais elle paraît si jeune parmi les autres. Frêle et somptueuse.

Le front moite, Annie soupçonne le bœuf bourguignon de lui causer cette langueur inhabituelle qui la laisse encore clouée sur le canapé. L’été dure excessivement. Les soins attentifs qu’elle prodigue devraient permettre à ces chéries de n’en pas souffrir, mais va savoir…

Annie embrasse d’un regard panoramique la pièce et ses douces et tendres nuances vertes. « Après tout, une vraie sieste pour une fois » se dit-elle.

 

****

 

« Mais vous n’entriez jamais ? »

L’inspecteur Galamais hoche la tête devant la femme effondrée sur la chaise devant lui, le nez congestionné au creux d’un mouchoir à taille de serviette.

« Vous allez me rappeler vos liens avec mme Levert : vous lui apportiez son repas midi et soir, c’est bien cela ? Donc vous la connaissiez bien ? »

Madame Charleux hoquète un peu, incapable de répondre à ces questions incompréhensibles, le regard perdu, habité encore d’images inoubliables.

Au cinquième, numéro 12, elle a poussé la porte tout à l’heure, inquiète de retrouver intact son plateau du soir.

De l’appartement madame Charleux n’a rien reconnu, il y faisait très sombre bien que la nuit ne soit pas encore tombée. Aucune trace familière quand ses yeux se sont accoutumés à la pénombre. Madame Charleux a juste émis un « ah » étouffé quand elle a compris ce qu’elle voyait.

Les plantes avaient tout envahi. Meubles, sols, murs, plafonds. Une trame de tentacules, plumets fins, griffes et lianes verdâtres s’enchevêtraient en une jungle oppressante.

Au centre, sur le canapé, elle avait reconnu la silhouette de dos, s’était approchée tremblante, écrasant avec dégoût les tiges et feuilles grasses au sol.

Annie souriait, sans vie. Le visage orienté vers le piano où trônait une seule plante, dégagée des autres. Brillante et extravagante.

 

 

 

 

 

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