Où est passé la Résurrection de Lazare, le chef d’œuvre du peintre florentin, Caccino Ricci
La patrouille des gendarmes grouille jour et nuit dans les ruelles ténébreuses et glaciales du village de Mougins.
Leur excitation est à son comble. Le mot d’ordre de l’inspecteur général en chef a été clair. Coûte que coûte retrouver, avant que sonne minuit au cœur de la nuit de Pâques, le chef d’œuvre du peintre florentin, Caccino Ricci, la Résurrection de Lazare. Ce tableau de maître que l’église de Mougins s’enorgueillit d’héberger, a été dérobé de façon tout à fait insolite à la fête de la Chandeleur.
Les plus fins limiers parmi les policiers, ceux considérés comme ayant vraiment du nez, entendez un roc, un pic, un cap, une péninsule, ont été mis sur le coup. Avec le risque d’un carambolage la nuit dans les passages sombres si d’aventure ils tombaient nez à nez les uns avec les autres.
Aucun procédé n’a été négligé. Du moins gênant pour le quotidien des habitants jusqu’au plus terrifiant : recueils de témoignages et de réminiscences, tambourinages aux portes des récalcitrants, menaces, au besoin sous la torture, de ceux qui pratiquent la négation systématique.
C’est que l’enjeu est de taille. La fin du monde, annoncée par voie de flyers, ornés de têtes de mort, et signés de la diseuse de mauvaise aventure de la ville voisine, Mouans Sartoux la Rouge, ennemie éternelle de Mougins . Un matin, les Mouginois se sont éveillés, épouvantés devant le spectacle de leurs rues jonchées de ces affreux prospectus envoyés par le diable.
L’énigme est confondante. L’église est fermée à double tour en permanence. Seuls le curé et le sacristain détiennent, chacun, un jeu de la précieuse clef. Quant à leurs cachettes respectives, les deux hommes se sont, à genoux devant le Saint Sacrement, communiqué mutuellement l’emplacement et jurés de ne le dévoiler à personne d’autre.
On est mercredi saint et rien, aucune nouvelle révélatrice, pas le plus petit indice, pas la moindre élucidation à l’horizon. Les policiers en sont réduits à naviguer à vue.
L’angoisse croît d’heure en heure. Mais, finit par se dire Monsieur le Curé, à quoi bon vouer aux gémonies cette sorcière urticante qui les a tous embobinés dans les rets de son pouvoir maléfique ? Si ça tombe, elle a usurpé l’identité d’une pythie, prétendument pourvue d’un don d’ubiquité et de prophétie, et n’est qu’une femme-imposteur,
Mieux vaut se tourner vers le Dieu Très Grand. Monsieur le Curé incite ses ouailles à la prière.
Le soir du samedi saint, aux alentours de 23 Heures, il prend la tête de la procession des fidèles et monte vers l’autel. Ses vieilles jambes flageolent et s’affolent communiquant au sol de l’église des trépidations qui contribuent à l’angoisse générale. Mais il avance, droit dans ses bottes de curé, déterminé à croire que cette nuit, il passera, avec ses chers paroissiens, de l’ombre à la lumière, et que le Bien vaincra le Mal. Ecrasés par l’effroi, personne ne fait plus attention au tableau.
Quand sonne minuit, il allume le cierge pascal. Dans la nébuleuse faite d’encens et des lueurs vacillantes des bougies, il lève le regard et croise celui de Lazard ressucité. Et ce n’est ni un rêve, ni son imagination qui lui joue des tours.